Test Final Cut Pro X

Après la mise à jour décevante de Final Cut Studio 3 en 2009 et le long silence d’Apple durant 2 ans, on se demandait si la firme de Cupertino s’intéressait toujours à la vidéo professionnelle. Final Cut Pro X nous apporte enfin une réponse: mais que recèle véritablement cette nouvelle mouture ?

Un nouveau paradigme ?

Final Cut Pro X a été entièrement repensé. Il était urgent de ré-écrire intégralement ce logiciel de montage car depuis ses débuts en 1998 il en était toujours resté au stade Carbon. Désormais, Final Cut Pro X repose sur des bases Cocoa, afin de tirer pleinement parti de l’architecture 64-bit, notamment pour les stations de montage multi-cores. Dès l’ouverture on prends conscience de l’ampleur du changement.

La nouvelle interface de Final Cut Pro X.

Organisation des rushes

L’interface de Final Cut Pro X est radicalement différente.Fini les dossiers de capture définis pour l’application: ici les médias sont stockés dans des dossiers Event, qui sont répertoriés dans un Event Library. Les clips sont alors visibles dans la fenêtre Event Browser en mode vignette ou liste (avec infos et metadatas). Par contre, il n’est plus possible d’organiser manuellement les clips en chutiers. Le classement repose sur des mots clés que l’on attribue aux clips. Ces derniers sont ensuite classés dans des Keyword Collections, des chutiers intelligent qui s’actualisent à jour en temps réel. On peut définir jusqu’à 10 raccourcis clavier pour indexer les clips très rapidement. De plus, une fonction d’analyse indexe automatiquement le type de plan (large, serré…) et le nombre de personne contenu dans chaque prise.

L’organisation des clips se gère désormais par mots clés.

Redéfinir le montage

Dans les versions antérieures, les fenêtres Viewer et Canvas permettaient respectivement d’afficher simultanément les images des clips et de la timeline. Avec cette nouvelle mouture il ne subsiste qu’une seule fenêtre, un Viewer universel qui affiche l’image du clip browser ou de la timeline de façon contextuelle. Autre nouveauté: la fonction skimming. Elle autorise les déplacements dans la timeline ou le clip browser sans déplacer la tête de lecture: un moyen pratique d’accéder aux rapidement aux images.

La philosophie de montage dans Final Cut Pro X est radicalement différente. L’utilisateur ne définit plus la structure de la tineline avec des pistes cibles, mais via une notion de storyline. Les 2 nouveaux modes de montage définissent leurs actions de la façon suivante. La fonction Ajouter construit le montage sur la storyline principale. Ainsi les clips sont automatiquement assemblés les uns aux autres quelque soit la position de la tête de lecture, évitant ainsi les faux raccords. La fonction Connecter ajoute les clips sur une autre piste, tout en considérant qu’ils seront toujours synchrones avec les clips de la storyline principale. Prenons l’exemple ou on aurait assemblé une interview sur une première piste et ajouté des illustrations sur un second niveau. Le fait de déplacer un clip de l’interview déplace automatiquement les illustrations qui le recouvrent de façon synchrone. Mais cette technique trouve vite ces limites. Reprenons l’exemple précédent. Si on souhaite inverser deux parties d’interview sans toucher aux illustrations, Final Cut va malgré tout déplacer les clips liés. Ainsi donc cette automatisation peut vite devenir contraignante sur des projets complexes, ou d’avantage de liberté est souhaitable. C’est peut être pour cela que Final Cut Pro X a conservé les modes écraser et insérer ?

La timeline: une nouvelle façon de concevoir le montage.

La gestion des pistes audio est aussi déconcertante. Par défaut, Final Cut Pro X considère que toutes les pistes sont stéréo… alors que dans les milieux professionnels ont a souvent 2 pistes mono synchrones mais indépendantes. On peut certes préciser qu’il s’agit de pistes mono, mais la timeline n’affiche toujours qu’une seule piste. Il faut passer par une étrange manipulation (Open in Timeline) pour ouvrir le clip avec les 2 pistes audio dans une sorte de timeline intermédiaire. On est aussi surpris de constater que Final Cut Pro X ne gère désormais plus le montage en mode multicam. Apple semble toutefois avoir pris conscience du problème en indiquant que cette fonctionnalité serait rétablie lors d’une prochaine update.

La timeline comporte néanmoins de nombreuses innovations très appréciables, comme un outil de recherche en fonction du nom, des métadata ou des mots clés du clip. On peut aussi grouper plusieurs clips dans un Clip Compound: ainsi tous les éléments sont placés dans une timeline intermédiaire, un peu comme fait After Effects avec son principe de pré-composition. Enfin la fonction Audition lie plusieurs prises d’un même plan dans la timeline afin de les intervertir lors du montage tout en conservant les effets et autres attributs. Ceci offre plus de flexibilité au réalisateur qui peut rapidement basculer d’une prise à l’autre.

Effets

Les attributs vidéo et audio sont dorénavant regroupés dans une palette Inspecteur. On y retrouve les traditionnelles propriétés géométriques de type DVE (position, échelle, déformation, crop), et de compositing (opacité et mode de fusion). Cette fenêtre s’agrémente de fonctionnalités avancées, comme le module de stabilisation (ex Smooth Cam) qui lisse les mouvements saccadés (panoramique, travelling) ainsi que le module Rolling Shutter, un plug-in innovant, très utile pour corriger les déformations diagonales inhérentes aux capteurs CMOS. Ces deux modules nécessitent une analyse préalable en tache de fond qui peut être automatiquement effectuée à l’import.

Le viewer et l’inspecteur.

On trouve aussi un module d’étalonnage directement hérité de Color, l’ex logiciel de colorimétrie d’Apple. Ce dernier fonctionne selon 3 modes: couleur, saturation et luminance, en ajustant les paramètres pour les basses, moyennes et hautes lumières. On peut aussi ajouter un masque sélectif afin de réaliser une correction secondaire simple, comme par exemple redonner un peu de couleur à un ciel délavé. Ce module d’étalonnage est accompagné de très bon outils d’analyse (histogramme, vecteurscope et oscilloscope) d’une grande précision et qui fonctionnent aussi en mode lecture. Notez enfin qu’il dispose d’un mode d’étalonnage automatique et de raccord de la colorimétrie d’après celle d’un plan de référence.

La fonction de masque intégrée au module d’étalonnage permet de réaliser des corrections secondaires, comme ici redonner de la couleur à un ciel trop terne.

Parallèlement à ce que l’on trouve pour pour la vidéo, l’inspecteur regroupe les attributs audio tels que volume, panoramique, équalisation et outils de correction. Ces derniers fonctionnent sur une analyse préalable et comprennent des paramètres de suppression du bruit de fond ou de ronflements.Final Cut Pro intègre aussi de nombreuses transitions et effets vidéo et audio. Qu’il s’agisse de flous, déformations, effets de stylisation… Il y en a pour tous les gouts. L’optimisation 64-bit fait ici merveille: sur un Mac Pro 12-core, les clips d’une timeline en HD 1080 acceptent jusqu’à une demi-douzaine d’effets (et pas des moindres: flou, déformations, ect) absolument sans broncher. Remarquable ! Par contre, on atteint rapidement un sentiment de frustration dès que l’on essaye de personnaliser les effets: le contrôle est très limité, ce qui donne d’avantage l’impression d’être dans un logiciel de montage destiné au grand public. Enfin, Final Cut Pro intègre un générateur d’éléments graphiques tels que titrages ou des habillages. Si ils paraissent bluffant au premier abord, ils restent néanmoins très typés au risque de lasser rapidement et d’être la signature d’un projet “made in Final Cut Pro X”.

Final Cut Pro X regorge de titrages et éléments d’habillages “en boite”.

Workflows

Apple positionne Final Cut Pro X comme un logiciel “conçu pour les flux de travail modernes”, entendez par là “workflows solid state”, c’est à dire pour des fichiers directement enregistrés sur des supports à mémoires. Mais j’aimerais qu’Apple nous définisse plus clairement “workflow modernes”. Prenons 2 exemples parmi les plus répandus: les fichiers XDCAM EX et Red. Ni l’un ni l’autre ne sont directement pris en charge par Final Cut Pro X. Dans le premier cas, il faut passer par le logiciel Sony XDCAM Transfer, et dans le second par RedCine-X afin de convertir les médias dans un format compatible. A titre de comparaison, Premiere Pro CS 5 supporte nativement ces fichiers (c’est à dire sans ré-encodage). Par contre, Final Cut Pro X n’a aucun problème pour importer les fichiers vidéos d’un iPhone: serait-ce là la définition d’un flux de travail moderne destiné aux professionnels pour Apple ?

Final Cut Pro X ne supporte plus les workflow à bandes (excepté DV et HDV). La seule solution est d’utiliser une logiciel spécifique via les cartes Aja ou Blackmagic pour la capture ou les reports sur bande. Si aujourd’hui de plus en plus de professionnels se tournent vers des workflows solid state (XDCAM, P2, Red…), on ne pourrait toutefois nier que les workflows à bandes sont toujours bien présents et loin d’être obsolètes, n’en déplaise à Steve Jobs.

Prisoners in Paradise

Final Cut Pro X intègre une multitude de fonctionnalisés innovantes. On a néanmoins l’impression d’être prisonnier dans un paradis perdu. Dans les productions professionnelles, le maitre mot est collaboration. Le montage n’est qu’une étape du processus et se complète par d’autre phases telles que le finishing, le mixage, l’étalonnage, l’encodage et l’authoring. Dans Final Cut Pro X, on ne peut que constater avec stupéfaction l’absence d’export OMF, XML ou EDL, pourtant présents dans la version précédente ! Impossible donc d’exporter son projet vers une station de mixage, d’étalonnage ou une autre station de montage pour le finishing.

La prise en charge d’un moniteur broadcast fait aussi cruellement défaut. Bien que Aja ait mis à jour ses drivers pour Final Cut Pro X, il ne s’agit que d’un ersatz qui utilise la Kona comme second moniteur desktop en y affectant le Viewer de Final Cut Pro X. Rien à voir avec la sortie vidéo HD SDI dans Final Cut Pro 7: l’image est d’une piètre qualité et saccade continuellement. La faute n’est pas à Aja mais bien à Apple qui n’a pas implémenté de fonction VOUT (Video Playback Settings) à Final Cut Pro X.

Final Cut Pro faisait partie d’une suite logicielle Final Cut Studio qui comprenaient entre autres Color, Sound Track Pro et DVD Studio Pro. Or ces trois excellents logiciels ont été abandonnés. Il ne reste aujourd’hui que Motion (motion graphics) et Compressor (encodage) comme seuls compagnons de route. On comprends certes que la vision d’Apple est d’intégrer tous les outils nécessaires dans un seul logiciel, dans une volonté de simplifier et d’optimiser la post-production. Par exemple en matière d’étalonnage, les outils de Final Cut Pro X font un bon en avant. Mais cela justifie-t’il pour autant l’abandon de Color, solution d’étalonnage adoptée par de nombreux professionnels ? De plus, une fois le projet finalisé les options de sorties son assez limitées: au mieux on exporte un master en Pro Res. Parallèlement on est en droit de se demander la pertinence des exports pour Apple Devices ou Facebook dans un logiciel destiné aux professionnels. A quoi bon optimiser une chaine de production en HD pour au final distribuer uniquement ses films sur un iPhone ? Etrange vision que celle d’Apple, qui réfute obstinément le succès du Blu-ray dont les ventes sont en constante progression depuis plusieurs années.

Les options d’export au format QuickTime.

Mais le pire, et qui reste absolument inexcusable de la part de Cupertino, est l’incompatibilité de Final Cut Pro X avec les versions antérieures. En d’autre terme, si vous upgradez de Final Cut Pro 7 vers Final Cut Pro X, toutes vos anciens projets deviennent obsolètes. Apple prétend que la nouvelle architecture de Final Cut Pro X est à la base de ce problème. Si tel est le cas, comment expliquer la compatibilité de Final Cut Pro X avec les projets iMovie ? Et pourquoi un logiciel comme Premiere Pro peut ouvrir des projets exportés depuis Final Cut Pro 7 ? Apple n’a absolument aucune excuse sur ce point. Peut on imaginer un seul instant Adobe présenter une nouvelle mouture de Photoshop en nous expliquant que désormais les anciens fichiers enregistrés sous une version antérieure ne sont plus compatible, avec l’excuse qu’il s’agit toutefois d’un logiciel qui doit révolutionner notre façon de travailler ?

La nouvelle architecture de Final Cut Pro X alourdit considérablement les échanges de projets entre 2 stations, puis qu’il faut désormais passer par un transfert via disque dur. Fini donc les envois de fichiers projets via serveur et les collaborations à distance. De plus, les fichiers de rendus sont directement enregistrés dans le document projet, ce qui signifie qu’ils vont rapidement saturer le disque système. L’un des principes de base en montage à toujours été d’affecter un disque spécifique tel qu’un RAID pour la lecture et l’enregistrement des rushes et fichiers de rendus. On se demande à nouveau ce qui a poussé Apple à déroger à cette règle.

Bref avec Final Cut Pro X, force est de constater que l’on reste prisonnier du logiciel et de la station de montage. On a certes de nombreux outils à sa disposition, mais absolument aucun moyen de travailler de façon collaborative.

Conclusion

Si Final Cut Pro X a de nombreux atouts pour séduire (optimisation 64-bit, gestion innovante des rushes, analyse en tache de fond, étalonnage poussé, effets innovants…) il comporte cependant de grandes lacunes à tel point que personne ne peut aujourd’hui dans son état actuel le qualifier de solution de montage professionnelle. On est alors en droit de se demander pourquoi Apple fait à ce point table rase du passé en essayant de nous imposer une vision des choses complètement déconnectée de la réalité professionnelle.

Final Cut Pro X laisse derrière lui un sentiment de frustration avec l’impression d’être un logiciel inachevé, ou plutôt qui se trompe ce cible. Apple aurait été plus clair en le baptisant iMovie Pro, car il se destine sans aucun doute au grand public et certainement pas aux professionnels. D’ailleurs la réponse de ces derniers est sans appel: jamais un produit Apple n’avait suscité un tel ras de marée de contestation. Mais peut être est-ce là pour Cupertino une manière d’affirmer sa volonté de se recentrer sur un marché grand public plus lucratif ?

© 2011 Stéphane Nicolle-Xplorer studio